Info, intox, com’ : qui fait l’élection en 2017 ?

L’année électorale aura été marquée, en France comme aux États-Unis, par l’importance croissante des fausses informations, et aussi, par l’avènement d’outils numériques permettant aux élus de se passer du filtre des médias. En proie à une défiance constante de l’opinion, ceux-ci peuvent-ils encore jouer leur rôle de contre-pouvoir ? Réponses de trois journalistes nantais, le 22 mai à la médiathèque Victor-Hugo de Grandchamp-des-Fontaines, devant une trentaine de personnes.


Texte et photos : Thibault Dumas.


Une campagne électorale, aussi longue et intense soit-elle, ce sont d’abord des règles, imposées aux radios et télévisions par la Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), au nom du pluralisme démocratique. Pour l’élection présidentielle, trois périodes se succèdent : l’équité (à partir du 1er janvier), l’égalité des temps de parole et l’équité des temps d’antenne (mi-mars) puis l’égalité totale (mois de campagne électorale officielle).

Suivre 156 candidats

Louables en théorie, ces règles peuvent en pratique « nuire à la qualité de l’information », admet Antoine Denéchère, journaliste à France Bleu Loire Océan. Illustration avec les deux meetings, holographique puis réel, de Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron au Zénith de Nantes (Saint-Herblain). « Entre 5000 à 7000 personnes le mardi et le mercredi avant le premier tour, c’est un événement important, mais qu’on a pas couverts car ensuite ça devient trop compliqué sur le plan des temps de parole. » Le reporter de Radio France, s’y est donc rendu… sans faire de sujets.

À noter que ce cadre tracé par le CSA ne s’applique pas à la presse papier ou en ligne (fut-elle une émanation d’une chaîne radio ou télé). L’affaire est encore plus complexe au moment des législatives, avec cette année 7882 prétendants pour 577 sièges à pourvoir. Un record. Rien qu’en Loire-Atlantique, on comptabilise 156 candidats dispatchés dans 10 circonscriptions. « Même si c’est le principe d’équité qui prime, ça reste un vrai casse-tête avec par exemple la place que prend un député sortant », souligne Antoine Denéchère.

Le procès en collusion avec l’élu n’est d’ailleurs jamais loin – « comment reconnaît-on un journaliste indépendant ? », résonne plusieurs fois dans la salle. Deux mythes sont rapidement démontés. « Le vouvoiement ne protège de rien, on peut tutoyer un politique qu’on connaît depuis longtemps et bien faire son boulot », martèle Jérôme Vallette, directeur de la rédaction de ComPol, sous les regards approbateurs de ses confrères. « Localement, les déjeuners où on est surtout invités sont ceux de presse, payés par vos impôts et j’en suis désolé mesdames et messieurs » (Antoine Denéchère).

La distorsion entre pratique des journalistes locaux et perception des citoyens, viendrait surtout d’une fixation sur quelques dizaines d’éditorialistes nationaux, (re)vus en boucle. « Soit rigoureusement l’inverse du travail du journaliste, c’est-à-dire le reportage de terrain », toujours selon Antoine Denéchère. Ce qui sous-tend un second problème, pointé par Mathilde Chevré, formatrice médias et journaliste pigiste : « Il y a un vrai manque de diversité à l’intérieur des rédactions, particulièrement des grands médias basés à Paris ». À l’échelle hexagonale les profils sont bien plus variés. En 2015, sur les 35 959 cartes de presse, seulement 18 % sont issues de cursus reconnus (données de l’Observatoire des métiers de la presse).

Médias dominants et diversification

L’émergence des réseaux sociaux ne doit pas occulter qu’une campagne reste rythmée par ces grands médias. À l’image du plus que centenaire Canard Enchaîné, dont les révélations sont à l’origine du « Penelope Gate« . Du débat d’entre-deux-tours qui opposait Marine Le Pen et Emmanuel Macron, notamment diffusé sur TF1 et France 2 et tout de même regardé par 16,5 millions de téléspectateurs. Ou encore d’événements diffusés en direct sur les chaînes d’info en continue, comme la double visite aux ouvriers de l’usine Whirlpool d’Amiens (Hauts-de-France).

« Même les réseaux numériques sont dominés par les médias dominants », note d’une jolie formule Jérôme Vallette. « En fait, les journalistes surinterprètent l’influence des réseaux sociaux et de leurs fake news. Quand on regarde dans le détail les blocs politiques sont relativement stables. Les bulles d’information existent surtout dans la vie réelle avec son entourage et son quartier. »

Malgré la propagation continuelle d’intox, à l’image du pseudo compte aux Bahamas d’Emmanuel Macron, Mathilde Chevré préfère retenir la mise en place d’outils innovants de fact checking : le Décodex du Monde, le CrossCheck, partenariat entre sept médias, Facebook et Google. « Finalement, le journalisme d’investigation et de vérification contre balance la répétition, le feuilletonnage, des chaînes d’info en continue ». Sans même parler de l’éducation aux médias, en plein essor, depuis l’attentat à Charlie Hebdo en janvier 2015.

Le paysage médiatique n’a paradoxalement jamais été aussi vaste. Dans la presse écrite seule, on compte 2515 entreprises, selon l’ODM. 32 chaînes sont diffusées par le biais de la télévision numérique terrestre (TNT) gratuite. La CPPAP (Commission paritaires des publications et agences de presse) reconnaît à ce jour 948 sites d’informations. Et Jérôme Vallette, de conclure « Il suffit de comparer avec les années 1970-1980, on a jamais été aussi bien informés en France. Il y a une vraie liberté de l’info, doublé d’une grande diversité. »


Making-of : En période électorale intense, ce débat initié par le trio de journalistes-résidents, s’est voulu un moment d’échange entre habitants du territoire d’Erdre et Gesvres et reporters aguerris dans le champ politique.

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